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La Diagonale des fous est l'un des plus beaux trails du monde... difficile, majestueux, magnifique... une épreuve hors du commun que nous voulons surmonter et vivre ensemble... un moment de sport magique !

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Le Grand Raid de la Réunion : La diagonale des Fous site officiel

dimanche 1 janvier 2012

David #156, 2jours et 1heure 30 en Diagonale



J1 – Jeudi 18 octobre 2012 – Grand Fond Saint Gilles Les bains 16h20.
Déjà 20 min de retard sur notre planning, il faut être à Cap Méchant à 18h00 pour se laisser 1h pour dîner, s‘équiper et être les premiers à intégrer le sas de départ. On ne veut pas être derrière et ainsi éviter la bousculade du starter. Avec du recul s’est un peu n’importe quoi, mais on ne se refait pas !

Cap Méchant
Dîner rapide à l’étoile de mer resto partenaire, du riz, des pâtes et encore du riz, je ne parle plus, je mange peu, je sais la guerre qui m’attend, j’ai hâte d’en découdre. La nuit tombe, on s’équipe dans le noir, dans la précipitation, j’en oublie d’appliquer la vaseline sur mon entre-jambe, ça me coûtera cher. Devant la zone de vérification des sacs c’est l’entonnoir, et donc c’est la bousculade. Une armée de clones de Kilian Jornet se presse, quelques rastas et coureur du dimanche sont là aussi, peu de filles. Habituer par le rugby à jouer des coudes, je bouscule et je passe devant tout le monde. Je suis tendu, il ne faut pas m’énerver. Dernier regard à Catherine, je lis de l’inquiétude dans son regard. On va se placer sur la ligne de départ, à 20 mètres en fait. Il est 19h45, le départ est pour 22h00. On s’assoit en regardant le spectacle qui nous est offert sur le podium à 10 mètres de nous. De la musique créole forte, plus un mot, Franck et Philou regardent hagard le spectacle, notre course a commencé.

21h00 mouvement de foule, tout le monde se lève, la tension est déjà à son comble, du jamais vu en course. On se serre. La température monte au sens propre comme au figuré. Pseudo briefing . 21h30 : un malaise juste derrière nous, évacuation, suivi d’un second au quasi même endroit. La guerre a débuté, les premières victimes n’ont même pas franchies la ligne. Le son est fort, on ne s’entend plus. Ils envoient la musique du Grand Raid, les télés sont en direct, l’organisation nous conseille de ne pas partir trop vite, mais comment faire autrement ?
21h55, j’ai peur, on s’accroupit pour faire pipi, l’ambiance est étouffante, irrespirable, il fait plus de 35°, on est trempé, j’ai peur… Laissez nous sortir !
Je serre mes pompes ça va partir fort, impensable mais inéluctable, 2600 bonhommes remontés comme des pendules, prêts à nous marcher dessus en cas de chute. 21h58, les pros partent mouvement en avant du peuple des inconnus, la ligne ne tient pas, elle cède sous la pression. 21h59 : c’est parti avant le gong, feu d’artifice hurlements, cris, joies, peurs, on court les bras tendus pour ne pas tomber. Je ne suis pas bien, j’ai les jambes coupées par le stationnaire, des maux de ventre à cause de la tension, mais j’avance 12/13km/h, de la folie. Seule la fraîcheur nous fait du bien. Comment ralentir ?

Fin RN2,
6 bornes à 12km/h, la folie continue, du bitume, du monde, du bruit, des types qui doublent, on rêve, il commence à pleuvoir, la foule nous compresse, le train est in-arrêtable…vite la montée qu’on puisse ralentir. Virage à gauche et nos premiers mètres en D+. Ouf ! On marche. L’organisation donne 10800m de D+ pour le Grand Raid, nos GPS en enregistreront plus de 12000. Plus de peur, plus d’angoisse, de la concentration, nous sommes toujours trois, nous nous cherchons en permanence comme un enfant qui a peur de perdre ses parents dans les allées d’un supermarché. A trois, il ne peut rien nous arriver et au fonds de nous-même, nous savons que ça ne durera pas. Alors on profite de ces derniers instants, on s’appelle, se répond, s’attends même. Montée douce, alternance de marche et de course.
Légère pente, Philou décroche un peu nous sommes entraînés par la pente et par l’aspiration de la course, on s’appelle, on se perd, on ne prend pas le temps de dire au revoir à Philou, c’est de la folie !
Longtemps après être arrivé, on regrettera ce moment, pas de doute, à ce moment-là on n’avait déjà plus toute notre tête, ne pas se retourner sur notre compagnon ne nous ressemble pas.  Encore pardon Philou.

Au kiosque Mare Longue, bascule à droite et là le mur 2000m de D+ sur 20km. Des blocs, des marches, rien de roulant, on perd définitivement Philou. Je ne le reverrais que dans 2 jours!

Foc Foc, 3h du matin vendredi 19/10/2012.
On monte au volcan, il pleut des trombes, on perd un degré tout les 50m, le vent souffle la température ressentie est inférieure à 6°. On prend un train de coureur qui monte fort, c’est du single track, tu ne doubles pas tu ne te fais pas doubler, tu ne peux pas t’arrêter, même pas faire pipi… Franck est devant, il encourage le leader du groupe qui est juste devant lui, l’autre s’accroche il va exploser… Le type couvrira toute la montée avant de s’écarter dès que le sentier s’élargira soit 20km plus loin, une folie de plus.
La pluie, invitée de dernière minute

On va vite trop vite mais bon c’est notre allure et on s’y tient. 1er pointage à Foc Foc, 157ème, nos proches vont recevoir un SMS, on est bien. Rendez-vous est pris avec les filles au volcan, dans 6km. Quant on arrive, elles ne sont pas là, on trace, par téléphone elles nous apprennent qu’elles se sont plantées et qu’elles sont plus loin au Piton Textor, ça tombe bien c’est notre destination.


Piton Textor, km 42, 5h du matin, vendredi 19/10/2012 – 7h08 de course
On roule fort jusqu’à Piton Textor, ce terrain nous convient bien, peu technique, peu dangereux, peu roulant quand même, on court sur de la roche volcanique. On lâche les chevaux, Franck mène le train, je n’arrête pas de le freiner en vain… du Franck quoi ! On pointe à la 142èmeplace, les filles sont là. Elles sont trempées, elles voulaient voir Kilian Jornet, elles l’ont raté, la pluie ne les a pas épargné.
Nous, on vient de prendre une claque sur ce premier marathon mené grand train. Nos corps ont plié mais pas cédé. C’est du jamais vu pour nous 42km et +2000de D+ en 7h08 c’est une première. Jornet est passé en 4h51.

On est trop rapide, la course, on la subie. Je suis à la fois content d’être à cette place et très inquiet de l’addition qui ne tardera pas à se présenter. J’ai confiance dans ma préparation…En avant sur Mare à Boue, je prends la tête et roule. Sentier sur un plateau de type prairie, gorgée d’eau, il pleut toujours, et comme son nom l’indique, mare à boue est …plein de boue.
Main gauche un fil barbelé sert de main courante, un appui qui glisse et c’est le barbelé dans la gueule assuré. Descente faible, c’est mon terrain, j’envoie les watts, juste pour montrer que je suis bien là, on reprend une trentaine de coureur sur 10 bornes, une folie de plus. On est bien, le jour s’est levé, on est dans notre course. Je suis avec Franck, là où je souhaitais être, je partage avec lui et Philou un moment rare qui, je sais, nous liera à vie. C’est l’adversité qui rapproche les gens et aujourd’hui nous y sommes en plein, j’aime cette idée, même si je suis à des années lumières d’imaginer ce qui nous attend. La guerre n’a pas commencé.

Piton des Neiges par le coteau Kerveguen km64, 9h20 vendredi 19/10/2012 – 11h20 de course
Ca y est, nous prenons de plein fouet le premier uppercut pleine face. On retouche terre, on ravale nos certitudes, on est à Kerveguen, le combat vient de débuter. C’est la douche froide !
Kerveguen c’est une montée interminable de 900m de D+ sur 12km. Un chaos rocheux, dont le sol est jonché d’énormes poches d’eau. Franck et ses grandes jambes évite l’eau et franchit les gros blocs assez facilement, moi derrière je lutte, pour tenir le rythme, je trace droit dans les flaques, tactiques opposée à celle de Franck, mes chaussures s’alourdissent. C’est ici un des premiers tournant de notre grand raid. Ici, nous sollicitons notre corps comme jamais, ici sans le savoir, nous construisons notre agonie, notre calvaire.
Kerveguen
Dans Kerveguen, nous rencontrons quelques raideurs, un d’eux nous annonce que Kerveguen n’est rien à côté de Mafate. Nous croisons aussi une connaissance, plus lent que nous il nous assure viser un top 100. Il n’a pas besoin de sommeil et refera son retard quand les autres dormirons, nous sommes admiratifs… il abandonnera 10km plus loin, on ne joue pas avec le Grand Raid !
Cette portion est interminable, pas de pause, on ne voit pas le bout, il pleut. Le sentier n’est autre qu’un ruisseau parsemé de poches d’eau. Arrivé au sommet, on est sur le toit du grand Raid 2484m, on a parcouru 64 km, ça fait 11h20 qu’on court.
Il faut aller pointer 150m en contre bas, un supplice, cette distance devra être refaite à l’envers afin de basculer sur Cilaos notre premier grand ravito.
Au pointage, je suis groggy, sonné, debout mais défait. Il fait très froid et nous sommes trempés de la tête aux pieds. On aimerait s’asseoir 1/4 d’heure, respirer, souffler, impossible la température de notre corps baisse à une vitesse vertigineuse, il faut repartir.

Cilaos km 72 10h40, vendredi 19/10 – 12h40 de course
Descente vertigineuse vers Cilaos qu’on garde en visu toute la descente, 1h20 pour faire 8km de descente à 15%, je vous laisse imaginer l’état du terrain pour descendre aussi lentement. A la réunion, rien n’est roulant, aucune portion ne permet de récupérer, les descentes font parties du lot « souffrance ».
Quant enfin on arrive sur la portion de bitume enroulant le village de Cilaos, notre moral remonte en flèche, la musique monte, on entend les premiers applaudissements, le village est en vue. On a déconseillé aux filles de nous attendre sur Cilaos, on ne se fait aucune illusion quant à leur présence. On entre dans le village, 95ème au scratch, c’est énorme on est seul,  et ovationné par tout un peuple qui vit Grand Raid pendant 3 jours. On se regarde, et au fond de nous, on sait que ce moment rare valait le coup. Nous en profitons et déjà nous savons que dans un moment l’addition va se présenter. Nous sommes prêts.
Cialos, 1ère pause

Severine, Fredo et ses filles nous attendent sur le stade. 2 Kinés rien que pour nous, le luxe absolu. Direction la douche, tiède mais délicieuse, on se change de pied en cap grâce aux sacs que l’organisation nous a acheminé sur Cilaos. Le prochain ravitaillement de ce style sera à Halte-là dans 64km. Je suis fatigué, je voudrais dormir, mais impossible, trop de monde, je me repose seulement. Il fait chaud, le soleil est doux et agréable, ce sont les premiers rayons depuis le début de la course. Les filles nous massent. Il est à mon sens très déraisonnable de penser qu’une telle course peut-être effectuée sans assistance physique d’un proche. Le groupe que nous sommes est uni, les filles ont entièrement compris et accepté leur tâche, ingrate mais au combien indispensable.
Frédérique, la régionale de l’étape a personnellement tenu un rôle majeur dans ma course j’y reviendrait…
Repas complet, chaud, carry, pâtes, pommes, de l’eau et c’est reparti, un 1/3 du parcours est derrière nous. La tactique est simple, compte tenu de notre début, on peut se permettre de diminuer notre train. Le but est de passer le 2ème 1/3 au train, bref on passe Mafate sans forcer et au Maïdo, on lâche les chevaux…
Au final, notre pause aura durée 1h15.

Sentier Scout par le Taïbit km93 18h29, vendredi 19/10  - 20h29 de course
On quitte Cilaos, petite descente pour aller au pied du Taïbit. Quand tu es en bas et que tu lèves la tête pour apercevoir ce fameux col, tu as du mal à y croire, un mur se dresse, et comble de la démesure, notre ascension commence par une descente vertigineuse, comme pour nous assommer et nous rappeller à plus d’humilité. Le Taïbit c’est 1150m de D+ en moins de 5km. En métropole, rares sont les sentiers de grande randonnnée qui affichent de tels pourcentages. A La Réunion c’est la routine ! Le Taïbit nous fracasse, nous brise menu, nous hache, après Kerveguen on encaisse un nouveau mauvais coup.
Pas de repis, que de la pente, du chaos rocheux… On serre les dents, on ne parle plus, on est sonné et là, personne pour nous plaindre, on est face à nous-même, face à l’élément terre, qui nous rappelle avec rigueur que nous ne sommes rien, qu’elle nous tolère tout juste. On se fait tout petit, on rentre la tête dans les épaules et on passe lentement, doucement, presque sur la pointe des pieds…
Col du Taïbit
Dans la montée, je prends quelques encablures d’avance sur Franck qui me rattrappe au gré d’un ravito sauvage « tisane artisanale », poste installé à plus de 2h de marche de toute zone de vie, incroyable Grand Raid.
Le sommet nous fait basculer dans Mafate, un des 3 cirques de l’île. Dans Mafate, point d’issue, une porte d’entrée (Le Taïbit), une sortie (Le Maïdo) et entre du dénivelé de dingue. Mafate, il y fait toujours beau puisque les nuages ne pénètrent que rarement dans le cirque. Ils sont bloqués par les montagnes en constituant son enceinte.
On s’accroche à cet adage, l’espoir du soleil et de la chaleur rechauffant nos corps meurtris. A peine le col franchit, une pluie diluvienne vient s’abattre sur nos rêves de douceur. Une fois de plus nous sommes rincés. En quelques heures, nous passons toutes nos affaires sèches en revue. Comment on va faire ?
A ce moment-là, on est au fond du seau, la guerre est à son comble, on prends des coups à répétition, on est dans les cordes, il nous faut réagir sous peine de capituler. Descente sur Marla, le cœur n’y est plus, je m’asseois sur un gros sac de jute rempli de couverture, je joins mes mains devant mes yeux, autour de moi un certain nombre de traileur est au repos. Je suis mouillé, éreinté, lassé, Franck me rejoins et me dit qu’il faut y aller, sans s’en rendre compte il vient de me sortir de la douce torpeur du laisser aller.

Col de Fourche interminable, périlleux, un traileur perdra sa vie à cet endroit. Ici tous les ingrédients sont rassemblés pour l’issue fatale, pente, humidité, fatigue propice au relâchement. Toutes mes pensées vont vers toi et tes proches Thierry, notre grande famille se rappellera combien tu aimais ta discipline, et la Réunion en particulier…
On s’accroche, nos épouses qui ont fait l’impasse de Cilaos sont au Sentier Scout, alors on se bat pour elles, pour qu’elles soient fières de nous. Je sais au fonds de moi-même que Sentier Scout sonnera pour nous le temps de la première vrai pause dodo. Dans la dernière portion, Franck donne des signes de faiblesse, il se plaint d’une douleur au genou, ça ressemble à une tendinite, il me fait signe d’aller devant vers les filles. Je pars en me disant qu’il va se refaire, je n’envisage plus de finir l’aventure seul, c’est trop dur !
Les filles enfin, il est 18h29, la nuit tombe, il fait froid. En quelques secondes, elles comprennent que ça ne va pas fort et elles prennent les initiatives indispensables au bon déroulement des opérations. Catherine prend mes affaires et va les sécher dans la voiture. Je ne suis pas persuadé qu’elle y arrive mais ça ne sera pas pire. Je me jette sur 2 lits picots, un pour moi, un pour Franck, 2 couvertures sur moi, je m’endort avant que Franck passé par la case toubib me rejoigne. Sous la tente militaire, une sono hurle les infos de la course en direct, les concurrents parlent fort, je m’endors comme dans le meilleur des lits, je suis cuit.
1h15 de sommeil profond malgré tout. Catherine et Fany nous réveillent pour nous dire qu’il faut repartir, dans leur regard aucun doute, on va repartir, comment font-elles pour être si sûre de nous ?
Ou suis-je, qu’est ce que je fais là, quelles forces nous lèvent et nous font repartir au combat, comment l’être que je chérie le plus au monde peu me renvoyer là-dedans. Comment a t-elle pu me sécher toutes mes affaires en si peu du temps ??
En me levant, une double douleur devant les tibias me surpend, rien de grave, léger mais bien  présent. Je pense que le fait d’avoir dormi avec mes chaussettes de compression a provoqué un petit problème de circulation sur le bas de mes jambes. Je ne suis pas inquiet.
En se rééquipant, nous rencontrons Corinne Favre, quadruple vainqueur du Grand Raid. Invitée pour le 20ème anniversaire, elle vient courir pour le plaisir. Elle nous demande si elle peut faire la descente avec nous. Une autre traileuse se joint à nous. Nous entamons donc la descente vers grand place à 4. Les filles nous encouragent une dernière fois, je ne reverrais Catherine que 18h plus tard. C’est parti.

Grand Place les bas km 104 00h19, samedi 20/10 – 26h19 de course
Corinne Favre
Kilian Jornet vient d’arriver à la Redoute !
On est dans Mafate, la sortie est devant. Pas de possibilité de venir nous chercher, il faut avancer. Ici tout le monde est logé à la même enseigne, se plaindre ne sert à rien, avancer coûte que coûte, on verra au Maïdo. Tu rentres dans Mafate par tes propres moyens, tu en ressors par tes propres moyens c’est la règle. On descend sans arrêt, Franck se plaint de son Facia Lata. La tendinite se précise, ça y est, on est dans le dur, notre séparation est proche,  inéluctable, je flippe, je ne veux pas finir sans lui. Le moindre problème musculaire, tendineux dans cette course et c’est l’enfer assuré, on le sait tous. On ne veut pas voir la réalité en face. Seul j’ai peur de ne pas avoir le courage nécessaire à relever le défi, alors j’encourage Franck, je lui dis que c’est à tous les 2, ou à personne.
On descend sur un sentier parsemé de racines, petites, à fleur de sol, glissantes, on chutera tous sur ce passage hautement périlleux. Il fait nuit. Franck souffre le martyre, mais il s’accroche. Il souffle à chaque appui, comment l’aider ?
Grand place les bas arrive, Franck a quasiment fait toute la descente sur une jambe. Corinne a mené toute la portion. En bas, il est décidé de refaire une pause. Nous nous allongeons tous les 3 côte à côte sur des lits de camp. La zone de repos est chaude, calme, Corinne me demande de la réveiller à mon départ. Le chef de zone me réveille au bout de 45mn comme demandé. Je me lève et réveille Franck. Il me dit qu’il faut que je parte sans lui, qu’il se donne quelques heures de plus de repos avant de s’élancer. Ce moment tant redouté on l’a tous les 2 chassé de nos idées le plus longtemps possible. Inévitablement, il est arrivé. Je lutte contre cette idée, mais je n’ai plus le choix, il me faut avancer. A ce moment-là, je sais qu’en laissant Franck  seul, « je l’enterre » définitivement. Je me sens coupable. Les larmes aux yeux, Corinne m’entraîne dans la pente. Elle a compris, elle a une grande expérience, il ne faut pas que je m’attarde sous peine de renoncer, elle m’encourage. Je ne reverrais Franck que 24h plus tard.

Maïdo km121 07h45, samedi 20/10 – 33h45 de course
Montée interminable vers grand place les hauts. Corinne mène le train, rythme enlevé difficile mais tolérable. Sur le sentier, on croise des coureurs affalés sur le bord, endormis à même le sol à flanc de falaise. Un traileur s’endort devant moi, il chute lourdement, quand je le réveille pour lui demander comment il va, il ne comprend pas ma question. Pour lui il s’est jamais arrêté de marcher… surréaliste. Corinne avance, elle est habituée à tout ça. Cette montée se fait de nuit, le sentier fait 1m de large tout au plus, la paroie nous sert de main courante d’un côté, le précipice marque l’autre coté. Un mauvais pas et c’est fini. C’est par des vidéos de l’endroit que je me rendrais compte plus tard de la folie de passer à cet endroit de nuit.
Maïdo Tête Dure
Mon esprit prend le pas sur mon corps, j’avance comme un automate calé sur les pas de Corinne qui sont souvent bien placés.
Grand place les haut arrive, musculairement ça va, je me suis promis une pause, Corinne ne veut pas s’arrêter, on vient de gravir 1000 de D+ il en reste 1000 pour franchir le Maïdo. Elle se sent bien, elle veut continuer. Pudiquement, je lui dit merci et recherche la tente de repos. On m’explique qu’elle est excentrée en direction du sentier du Maïdo. Je la cherche désespérément, en vain. De rage, je me dis que c’est un signe pas de tente de repos, je suis sur le sentier, il faut continuer seul, tête à tête avec Maïdo tête dure. A nous deux juge de paix du Grand Raid, le gersois arrive…
Je mets en veille tous mes sens, je me concentre sur le vital, mes pas, l’eau tous les 1/4 d’heure, un gel par heure. Maïdo est divisé en 4 portions (25/75 ; 50/50 ; 75/25), je m’accorderai 3 pauses légères. Ma gêne sur mes avants tibia se précise, plus question de compression, le mal est plus profond. J’enlève mes chaussettes de compression. Je défie à voix haute cette muraille, rien ne laisse entrevoir par où on va passer. On est au pied d’une falaise. Le jour se lève, le soleil me montre la voix, je n’ai plus peur, c’est l’état de grâce, là-haut la dernière portion se présentera à moi, là-bas je suis quasiment certain de finir, là-bas c’est l’espoir, la chaleur, les encouragements, l’océan, les vues dégagées, les descentes…
L’ascension est spectaculaire, le cirque de Mafate en toile de fond, le soleil du petit matin pur, brut, limpide. En haut, j’entends les clameurs. Quand vous vous rendrez sur l’île de La Réunion, rappelez-vous ces quelques mots et rendez-vous au petit matin sur le Maïdo, à cet instant-là précisément, on tutoie les anges.
Le sommet est en vue, une haie de personnes est amassée vous encourage, vous félicite, je pleure, je suis heureux, ce moment est unique, rare je m’arrête pour essayer de l’apprivoiser, le conserver avec moi, il m’échappe, il s’enfuit. La magie disparaît, je salue Mafate, la grande, l’unique, la solitaire et me tourne vers la rivière des galets, Corinne qui a exécuté l’ascension sur un bon rythme me rejoint elle est étonnée de me retrouver devant elle. Je lui explique ma recherche vaine de la tente de repos. Elle abandonne, elle a la ressource pour continuer mais  veut se servir de son abandon pour signifier à l’organisation son agacement de voir le Grand Raid repousser toujours plus les limites.
Je ne comprends pas vraiment, mais bon grand respect pour cette Dame de l’ultra. Je fais une pause par la tente médicale pour me faire diagnostiquer mes douleurs sur l’avant de mes tibias. Le médecin voit ma démarche, m’allonge et pause son doigt sur mes tendons releveurs du pied. Tendinite, sans appel son regard et son mouvement de tête sont formels, le Grand Raid s’arrête là pour moi, j’acquiesce pour lui donner raison et ... Je repars.
Maïdo tête dure, je reviendrais. La douleur est très vive, je commence à marcher, m’arrête, prends un doliprane et relance la machine, pas après pas. J’accélère, je serre les dents, souffrir je sais faire, descendre encore plus. Cette portion fait 15km, après c’est halte-là le 2ème grand ravito, Catherine sera là-bas, je cours mes jambes en feu.

Rivière des Galets km136 12h36, samedi 20/10 – 38h36 de course
Descente interminable, en forêt d’abord avec une alternance de grosses montées/descentes du véritable coupe jarret, puis la traversée des champs de Canne avec un sentier aménagé par des escaliers larges parfois plus de 2m par marche, impossible de prendre un rythme, impossible de se relâcher, impossible de récupérer. Mon corps tremble de toute part, je travaille mes trajectoires à l’économie. Je pensais avoir fait une bonne moyenne sur cette portion descendante, au final, j’aurais descendu 2000m sur 15km à une moyenne à peine supérieure à 3km/h. C’est hallucinant, je suis capable de courir 6 fois plus vite. La déconnexion entre les sensations et la réalité est totale. C’est l’effet Grand Raid. Je compte les concurrents que je double pour couper la monotonie. A ce moment-là, vitesse toute relative me grise, je défie le Grand Raid, mes proches sont là autour de moi, mon esprit divague, mes yeux sont remplis de larmes, je n’ai plus peur, un mauvais appui me fait revenir à la réalité, pas de place pour les états d’âme sur ces sentiers…
On descend dans le lit de la rivière, comme on descend dans un four, 40°, les galets chargés de chaleur rayonnent, le corps ne comprend plus quel supplice on lui inflige. Sur main droite, sur l’autre berge, je devine le poste de repos, il me reste 3km avant de l’atteindre , il me faut aller chercher le pont pour traverser la rivière. Des gens se baignent, je les envie. J’arrive au poste, Catherine est là devant moi, comme un rêve, elle, là ou elle doit être à ce moment là, comment elle fait ? On est à Ilet Savannah.
Bien sûr, on pleure, on est fatigué tous les 2, à fleur de peau, je ne suis que douleur, elle n’est qu’encouragement. Elle prends tout en main, me dit quoi faire, n’oublie rien. Elle m’indique que Philou avance au train, j’en souris tellement il m’impressionne de régularité, elle me dit que Franck est reparti, qu’il finit de gravir le Maïdo. Pas possible, pas le Franck que j’ai laissé en bas de Mafate. Je suis scotché, pas possible, il a relevé le défi, seul ! Il vient de basculer vers la victoire, son esprit a pris le pas sur son corps, il a compris, respect Francky !
Céline, le 4ème larron du Teamdiago à éclaboussé de sa classe la Mascareignes (60km), elle termine première avec plus de 40mn d’avance sur sa poursuivante, chapeau l’ablette.

Je dors 30mn, elle me veille, sous la tente c’est la fournaise, je dors d’un trait. En faisant mon sac Catherine, me fait remarquer que j’oublie ma frontale, je suis persuadé ne plus en avoir besoin, il me reste 11h de course, je n’ai plus ma tête. Elle vient de sauver mon grand raid. Pas de finish de nuit sans frontale. Je la quitte le cœur gros, gonflé à bloc, prochain rdv à possession. Mes releveurs sont en feu, ils sont rouges et me font particulièrement souffrir en descente. Dur pour moi qui me faisait une réelle joie de parcourir ces portions de pentes faibles à bonne allure. Je suis sur mon terrain et je ne peux exploiter mes qualités… Frustrant !
Je prends mon mal en patience et me prépare un moral d’enfer car je sais ce qui m’attend, je suis debout et l’adversité ne m’effraie plus.

Possession km149 17h20, samedi 20/10 – 43h20 de course
En arrivant à Possession, ma tête est déjà vers le chemin des Anglais. 2 petites têtes bien connues sortent de la foule et crient David : Manon et Lou-Anne, les 2 filles d’Olivier et Frédérique, nos hôtes locaux m’accueillent, ouf je ne suis plus seul…
Je passe un muret par un petit escalier et devant moi une foule de part et d’autre du chemin menant au pointage. Au milieu, Catherine et Frédérique me regarde, je souris, de fait, elles sont rassurées. Les filles scandent mon prénom et la centaine de personnes le reprennent en cœur. C’est énorme, des frissons me parcourent le corps, je prends les devant pour cacher mes larmes que mon corps ne peut contenir, toutes les barrières lâchent une à une, je suis emporter, c’est l’état de grâce, je me laisse aller, c’est pour ça que je cours je branche mon enregistreur d’émotion et profite…

Frédo, Manon, et Lou-Anne, merci les filles pour la pom'pote et le cacolac
Frédérique, Olivier et leur 2 filles vivent sur l’île de la Réunion depuis quelques années, Olivier est un triathlète d’expérience, il a plusieurs Ironman à son actif et surtout il a couru plusieurs fois le Grand Raid. Leurs conseils ont été plus qu’indispensables. Frédérique est Kiné de formation, pour avoir suivit son mari dans ses différentes courses, elle a une grande expérience de la course côté assistance. A possession, comme à Cialos, elle prend les choses en main et sait exactement ce qu’il faut faire. D’abord elle me soigne la tête, en faisant reprendre à tue tête mon prénom, ensuite elle me demande de me restaurer pour alimenter la machine, j’en mange même le 4 heure de Manon et Lou-Anne, enfin elle s’occupe de mon corps meurtri. Frédérique tu es grande, ta générosité et ton dévouement t’honorent. Je te dois beaucoup, je n’oublierais rien.
Possession restera le moment fort de ma course. Catherine, Frédérique, Manon, Lou-Anne, des centaines d’inconnus qui fêtent leur course, et moi surfant sur cette vague de bonnes ondes, communion totale, je suis intouchable, un délice…
Au sol Fredo, me trouve de bonnes jambes, mon appétit la rassure car il me faut prendre un anti-inflamatoire pour atténuer la douleur des 2 tendinites.
Quand je quitte Possession, je sais que le meilleur est derrière moi, l’addition se présentera bientôt, dans 4 à 5 heures exactement quant le médicament ne fera plus effet. Je suis prêt !


Colorado km165 22h01, samedi 20/10 – 48h01 de course
Sortir de possession vite, ne plus penser à cette douceur, vite se remettre dans la course, je me hâte.


Le chemin des Anglais
Olivier m’avait parlé du chemin des Anglais, on avait reconnu le départ, je sais où je vais , je sais la tâche qui m’attends, je vais charger. J’ai de la chance, la nuit tombe et la chaleur sera moins accablante, ici est le coin le plus chaud de l’île. Tout le monde sait qu’en tant qu’ancien rugbyman, je voue une haine viscérale à nos amis d’outre manche. Ce chemin se présente et je pense qu’il ne va pas me réconcilier avec les sujets de sa majesté. Je vois juste, ce chemin pavé de bloc de roches volcaniques n’est qu’un dédale de gros cailloux brûlant des rayons de soleil emmagasiné toute la journée. Le coin hostile par excellence, même la végétation a refusé de pousser entre ces pierres incandescentes. Le dénivelé est fort et le jeu consiste à poser ses pieds sur le haut des pierres… à la frontale et après + de 100km je vous laisse imaginer. Merci les Anglais du cadeau, entre nous rien ne sera plus pareil…

Je suis seul et m’encourage à voix haute, mon esprit guide mes pas. 1 semaine après, je n’ai presque plus aucun souvenir de ce passage, mon cerveau en veille à ce moment-là ne se concentrant que sur l’essentiel avancer et ne pas se blesser. La descente sur grande Chaloupe, vertigineuse, défoncée, met fin à 2h de calvaire sur le chemin des Rosbeefs.
A grande Chaloupe, le Colorado se dresse dernière ascension, ultimes mètres de D+. Je pars en compagnie d’Yvon, un local qui court pour ses filles. Comme moi, il a les releveurs en vrac, il pleure de douleur, pudiquement dans mon dos, jamais il évoque l’abandon, trop de sacrifices, trop de privations infligées aux siens. Il ne me voit pas non plus mais sa douleur m’arrache des sanglots. Je le pousse et l’encourage, il a 45 ans et s’accroche, ne se plaint pas, il sait que son enfer est en haut, la descente vers la Redoute sans releveur se fera dans la douleur. Je l’abandonne, il n’avance plus, on se donne rendez-vous sur le stade, on sait qu’on ne se reverra plus, ainsi va la course, bon courage Yvon…
J’arrive à Colorado, et les effets de l’anti-inflammatoire disparaissent quasi-instantanément, il est l’heure de régler l’addition, je le sais, je suis prêt, je m’assois, me regroupe, la tête entre les jambes et me met à pleurer. Ainsi recroquevillé, je repense au chemin parcourus, je suis fier, j’ai peur, je ne veux plus repartir, je ne veux pas que ça finisse, en bas tout va s’arrêter…
Les gens autour de moi n’osent pas s’approcher, ils comprennent, ils en ont vu d’autres passer, ils savent que la fin est proche et que ce moment est suspendu à la décision du coureur, ils respectent cet instant, merci à eux.
Le froid me sort de ma torpeur. Je me lève, mes tendons s’opposent à ma volonté, je décide de m’isoler pour crier ma douleur, vous pouvez m’accabler de tous vos maux, je suis immortel, je pars…

La redoute km170 23h30 samedi 23h30 – 49h30 de course – 315ème Scratch - 121ème Sénior Descente violente de bout en bout, la douleur me fait vaciller, je me sert de mes bras pour soulager mes jambes, je me concentre sur ma respiration, je me pose tous les 100m. 2 œdèmes ont pris place sur mes releveurs. Comme pour ajouter au supplice ils compriment mon tendon. Mon corps se défend, de la charge que je lui impose. Je sais que les signaux qu’il m’envoie ne reflètent pas vraiment le mal qui m’accable. Ils sont démesurés, mon corps me ment, je le sais, j’essaie de composer avec cette idée, de ne pas me laisser aller. Je lutte contre mon corps, la bataille est inégale, mais je ne me laisse pas déborder.
Je croise d’autres coureurs qui souffrent au moins autant que moi, en 1 regard on se comprend, pas besoin de grand discours, on sait !
Frédérique m’a expliqué que notre passage dans Kerveguen nous a détruit. Franck par ses écarts et grandes enjambées s’est fait explosé son Facia latta, de mon côté, mes pas répétés dans les poches d’eau ont alourdi mes chaussures, le surpoids a pesé sur mes tendons, l’inflammation n’est autre que la conséquence de cette sur-sollicitation. Voilà a quoi tient un Grand Raid.
Arrivée, mes releveurs sont en feu...
Certains coureurs descendent en marche arrière, de nuit la frontale à la main, c’est surréaliste, plus rien ne m’étonne, je descends, j’ai mal, c’est un leurre je me parle…
La descente se fait au son de la sono du stade, je n’y pense pas, je me concentre, je ne veux plus chuter, je ne veux plus me faire mal. Je regarde chaque pierre pour savoir comment je vais pouvoir la passer. Ce réflexe naturel, automatique de choisir sa trace, est devenu mécanique, je suis en mode manuel.
Je m’arrête, il est temps pour moi de mettre le tee-shirt de l’organisation, indispensable pour passer la ligne d’arrivée, c’est dans les consignes et je dois bien ça à tous ces gens qui font vivre un tel spectacle.
1h30 pour descendre 4km et 600m de D- et je suis en bas, debout, putain, je suis en bas, debout, je suis debout.
Bien sûr l’arrivée va être mémorable, je l’aie tellement imaginée, qu’elle ne me surprends plus.
Catherine est là où je souhaitais qu’elle soit, comment elle fait ? C’est mystique, au bon endroit au bon moment, avec ce qu’il faut mais pas trop. Je la vois, je ne vois qu’elle, je n’entends plus, ne rêve plus, tous mes sens orientés vers ce petit bout de femme là, à l’entrée du stade autour de nous le vide, moment rare, limpide, pur, dénué de tout artifice, moment unique de vie entre 2 êtres qui ne font plus qu’un. Ce Grand Raid c’est un peu le tien…
Elle me laisse et se positionne derrière moi, je reprends ma course, je rentre dans le stade, la lumière est aveuglante, je sais exactement où je dois aller, la ligne est là devant moi transparente, intouchable, je m’arrête à un mètre, elle est là devant moi, le speaker officiel me regarde, il meuble, il attend que je franchisse. Il est 23h30, je m’arrête, tout s’arrête, je ferme les yeux, place mes mains devant mon visage, je pleure, je ne veux pas que ça s’arrête, derrière la ligne c’est fini, je ne veux pas que ça finisse, je repense au film de ces 2 derniers jours, Philou, Kerveguen, la pluie, le Taïbit, Franck, le soleil, Maîdo tête dure, Mafate, les douleurs, les anglais…
J’ouvre les yeux et pousse mon corps en avant, le speaker a compri, il m’a laissé suspendu ces quelques secondes maintenant les instants qui viennent ne sont plus à moi, je les lui dois. Quelques cris, des applaudissements, pas d’explosion de joie, pas de bras levés, j’ai honte d’avoir sous-estimé le Grand Raid. « C’est trop dur » seront mes premiers mots au micro du stade.
Comme prévu la rupture est totale, abyssale, la médaille autour du coup je m’assois et demande à Catherine quelque chose de frais, elle revient avec une bière, encore une fois elle a vu juste, en quelque minutes, je me retrouve douché et allongé dans un lit. Le miracle Catherine continue. Avant de m’endormir, je lui demande de me réveiller pour accueillir le miracle Franck et la force de Philou, mes héros.



6h plus tard me revoilà à la Redoute pour attendre Franck, j’ai l’impression d’être un étranger. La magie n’est plus, quelques heures se sont écoulées et pourtant j’ai l’impression de ne pas être revenu là depuis des jours. Ce monde ne m’appartient plus, c’est horrible !
Je me déplace mal, je veux laisser à Franck la magie de l’arrivée, je me place pudiquement derrière la ligne avec mon appareil photo et j’attends. C’est son moment, j’essaie de le comprendre de le déchiffrer pour mieux comprendre le mien, en vain. J’attends qu’il vienne vers moi, il ne le sait pas mais je lui voue à cet instant-là une admiration sans limite. Je suis le seul qui sait dans quel état il était à Grand Place les bas. Il est là devant moi, c’est un miracle. Franck ce que tu as accompli est grand et nous 3 seuls savons, c’est en nous pour toujours…
Il vient vers moi, l’émotion est si forte qu’on ne peut pas se parler, moment d’une intensité rare, puissant. Lui aussi plonge dans les abîmes de la fin de course.
Retour au lit, puis réveil pour l’accueil du roc Philou, le studieux, la poutre, l’homme fort. Philou est à l’arrivée, il a géré sa course comme un métronome, il a aidé des gens autour de lui, il n’a quasiment pas de séquelles physiques. Il impressionne de sagesse, il passe la ligne, il est vif alerte, à l’opposé de moi et de Franck, comment il fait. Du Philou, pur jus.

On est là tous les 3 assommés par l’effervescence, on voulait être là, on y est, personnellement tout ce monde tout ce bruit m’indispose, j’aimerais réfléchir à tout ça. Marquer à jamais dans ma mémoire tous les sentiments, toutes les sensations, toutes les émotions de ces 2 derniers jours. Difficile avec une sono qui crache du son et des milliers de personnes évoluant autour de vous. 



Il faut que j’écrive tout ça pour moi, pour les miens et tous ceux qui un jour souhaiteront se lancer dans cette aventure, pour dire à tout le monde ce que le Grand Raid a représenté pour moi.
Ces quelques-mots, vous les avez sous les yeux, ils sont mon reflet, brut, vierge de tout artifice, sans concession 2jours et 1h de david sur les sentiers les plus beaux du monde.

A tous les bénévoles, aux Chopins, à Teamdiago, à la femme de ma vie et aux miens…





Le Grand Raid, c’est la fête des Réunionnais, de la Réunion en général. Tout Réunionnais qui se respecte se doit de courir cette course. Les non-résidents sont présents en nombre limité par un quota. Ce qui me paraissait injuste au départ me semble une nécessité tant l’engouement de ce peuple pour cette épreuve est grande. C’est leur solution pour conserver cette épreuve en l’état. On n’est pas sur un événement hyper marqueté, avec une multitude de sponsors internationaux. Pas d’organisation tirée à quatre épingles, ici c’est rustique et efficace.
Sur le Grand raid, il y a 2600 coureurs et 1300 vainqueurs, la proximité des 3 cirques, l’isolement de ces derniers en font une épreuve exclusive, unique, exceptionnelle.
Attention, elle n’est pas adaptée à un coureur de plat. Il faut pratiquer le dénivelé, le fort, le gros, le dru, celui qui fait mal en montée et en descente, celui qui n’autorise aucune récupération. Ce bagage, il est difficile de se le constituer en métropole, nos sentiers sont trop propres, trop aseptisés.
Enfin l’accompagnement est indispensable.
Le Grand Raid est une communion avec un peuple passionné par ses terres et ses coureurs.

Courir le Grand raid, c’est tout ça à la fois, courir le Grand Raid c’est entrer dans la légende du plus vieux trail du monde.

5 commentaires:

  1. Salut Fréro,
    Que d'émotion à la lecture de ton récit, d'ici on ne s'imaginait pas ce calvaire. Je ne sais pas où tu trouves toute cette énergie et cette force pour parcourir tous ces kms. Je suis très fière de toi et d'être ta soeur, tu m'impressionnes.
    Je t'aime très fort
    CAthe

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  2. "Tu écris super bien ! Ça m'a permis non seulement de "vivre" ton Grand Raid, mais aussi de revivre les miens. Merci !
    Peut-être que tu vas susciter des vocations, mais les futurs fous seront prévenus : la Diagonale des fous est une aventure, bien plus qu'un ultra trail. Tu es d'accord ?
    En tout cas, maintenant tu connais les caris et punch réunionnais.
    Prêt pour 20.. ?
    Encore bravo !
    Olivier"

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  3. "Merci David pour tes gentils mots mais surtout merci de nous avoir fait partager ta course. Tu as rempli tous les vides, les interrogations que nous ( les les accompagnateurs) avions. Le puzzle est en place et enfin au lieu d avoir des souvenirs de brèves rencontres sur le parcours et des points GPS qui se déplacent, on a enfin le récit de ce qu on ne pourra jamais vivre et que l on a finalement un peu vécu par procuration...
    David je te connais peu et à la fin du séjour, j ai dit" David il parle peu, mais parle juste!!!" Et bien avec le récit que tu viens de partager ton écrit , clair, limpide je dirai maintenant que tu écris super bien!!!
    Bravo pour ce grand raid et merci pour le partage!!!
    Fredo ( la Kine)"

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  4. Très beau récit et une belle immersion dans une aventure humaine qui nous restituent fidèlement toutes les difficultés de cette course hors normes. J'ai parcouru tous les récits mis en ligne sur le forum de la diagonale des fous et le vôtre est de loin celui qui me donne envie d'y être un jour.
    Je suis un réunionnais expatrié en Bretagne depuis plus de 30 ans et les sentiers de l'ile je les ai parcourus bien avant que l'ultra-trail devienne à la mode et un mode de vie. Je connais le prix de l'effort et la souffrance qu'il faut endurer juste pour monter au Piton des Neiges en partant de Hell_Bourg quand on est mal préparé.
    Bravo à vous et à vos coéquipiers pour cette belle course et ce beau récit. Si cette aventure dure, elle le devra à des passionnés comme vous, prêts à relever ce genre de défi.

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  5. Autant je suis critique sur la manière dont vous avez conduit votre course avec notamment un rythme bien trop rapide au départ (mais je mets ça sur le compte de la fougue des petits jeunes !), autant j'ai trouvé dans ton récit un parfait reflet des sensations que j'ai pues éprouver, en particulier pour l'arrivée. Dans mon propre CR, j'ai très timidement évoqué la tristesse ressentie lors de l'arrivée à La Redoute. J'avais bien trop peur de passer pour un dangereux maniaque.....Toi, tu as trouvé les mots justes pour le dire....Je pense, tout comme toi sans doute, que le Grand Raid nous change, et il nous donne l'occasion de vivre une aventure humaine individuelle et collective irréversible.... Hubert http://www.diagonaledesfous.com/t4068-mon-cr-du-grr

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